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CLAUSE DANS UN EXAMEN DE LOYER : FONDÉ OU NON SUR LE MARCHÉ?

Évaluation immobilière au Canada

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2017 – Volume 61 – Tome 4
CLAUSE DANS UN EXAMEN DE LOYER : FONDÉ OU NON SUR LE MARCHÉ?
John Shevchuk, avocat et procureur, C.Arb, AACI(Hon), RI

Questions juridiques

CLAUSE DANS UN EXAMEN DE LOYER : FONDÉ OU NON SUR LE MARCHÉ?

Par John Shevchuk, avocat et procureur, C.Arb, AACI(Hon), RI

Quand on fait l’examen d’un loyer à bail, il importe de lire le bail pour déterminer la base sur laquelle le locateur et le locataire ont convenu que le loyer sera établi. Le loyer doit-il être basé sur les prix du marché ou sur d’autres critères établis par les parties? Pour trancher la question, on doit appliquer les principes d’interprétation des contrats. 

Principes d’interprétation généraux

Les principes d’interprétation applicables à un bail ont été confirmés récemment dans Park Royal Shopping Centre Holdings Ltd. c. Gap (Canada) Inc., 2017 BCSC 1257 [Park Royal]. Aux paragraphes 51 et 52, le tribunal a écrit ce qui suit :

[51] Tel que noté dans Athwal c. Black Top Cabs Ltd., 2012 BCCA 107 :

[42] L’intention contractuelle des parties à un contrat écrit est objectivement déterminée en interprétant le sens usuel et ordinaire des termes du contrat dans le contexte du contrat dans son ensemble et les circonstances (ou la matrice factuelle) qui existaient au moment de la conclusion du contrat, à moins que de faire (sic) entraînerait une absurdité.

[52] L ‘« interprétation d’une disposition contractuelle écrite doit toujours être fondée sur le texte et se lire à la lumière de l’ensemble du contrat : » Creston Moly Corp. c. Sattva Capital Corp., 2014 CSC 53, par. 57.

Dans Creston Moly Corp. c. Sattva Capital Corp., 2014 CSC 53 [Sattva], le juge Rothstein a écrit au paragraphe 47 que « […] la considération des circonstances entourant cette affaire reconnaît qu’il peut être difficile de déterminer l’intention contractuelle en examinant les mots par eux-mêmes, parce que les mots n’ont pas de sens immuable ou absolu … » Au paragraphe 48, le juge Rothstein poursuit son explication :

48 Le sens des mots est souvent dérivé d’un certain nombre de facteurs contextuels, y compris le but de l’accord et la nature de la relation créée par l’accord … Comme l’a déclaré Lord Hoffmann dans Investors Compensation Scheme Ltd. c. West Bromwich Building Society, [ 1998] 1 Tous ER 98 (HL) :

Le sens qu’un document (ou tout autre énoncé) transmettrait à un homme raisonnable n’est pas la même chose que le sens de ses mots. La signification des mots est une question de dictionnaires et de grammaires; le sens du document est ce que les parties utilisant ces mots dans le contexte pertinent en auraient raisonnablement compris la signification …

Au paragraphe 57, le rôle des circonstances environnantes a été décrit ainsi : « Bien que les circonstances environnantes sont prises en considération dans l’interprétation des termes d’un contrat, on ne doit jamais leur permettre de supplanter les mots de l’accord … Un tel examen des éléments de preuve a pour but d’approfondir la compréhension du décideur des intentions mutuelles et objectives des parties telles qu’exprimées dans les termes du contrat. » Les éléments de preuve qu’on peut qualifier de « circonstances environnantes » ont été discutés au paragraphe 58, dont une partie est énoncée ci-dessous :

58 La nature de la preuve sur laquelle on peut s’appuyer sous la rubrique « circonstances environnantes » variera nécessairement d’un cas à l’autre. Il y a cependant ses limites. Elle devrait consister uniquement en une preuve objective de faits antérieurs au moment de l’exécution du contrat … c’est-à-dire, des connaissances qui étaient ou auraient raisonnablement dû être connues des deux parties à la date du contrat ou avant cette date …

Application des principes d’interprétation aux baux

Étant donné l’état actuel de la loi concernant l’interprétation des contrats, y compris les baux, comment un tribunal déterminera-t-il si le loyer doit être révisé en fonction du marché ou d’une autre façon? Bien que les cas suivants soient antérieurs à Sattva et à Park Royal, ils pourraient peut-être nous éclairer sur la marche à suivre.

Dans l’affaire Fire Productions Ltd. c. Lauro, 2006 BCCA 497, le juge Lowry a déclaré, au paragraphe 9, que « juste » dans l’expression « juste valeur marchande » ne signifie pas que le loyer doit être calculé sur une base autre que ce que le marché attirerait. Il a conclu que les parties ne s’étaient pas entendues sur un « juste loyer », mais sur juste loyer du marché. « Juste » n’ajoute rien à la signification de loyer du marché, sauf que le marché doit être considéré comme un marché cohérent qui n’est pas affecté par les fluctuations transitoires importantes qui peuvent être évidentes au moment du renouvellement. Pour en arriver à cette conclusion, le savant juge s’est appuyé sur l’interprétation du terme « juste » donnée par la Cour suprême du Canada pour examiner la juste valeur marchande des actions dans Untermyer v. British Columbia (Attorney General) (1928), [1929] S.C.R. 84 à 319.

Dans l’affaire NRI Manufacturing Inc. c. Gross, 1998 CarswellOnt 2741 (Div. gén. de l’Ontario) [NRI Manufacturing],[1] le tribunal a examiné la clause suivante dans un litige portant sur le renouvellement d’un bail :

Section 19.2 Loyer pour la période initiale de renouvellement

Le loyer de base payable pour chaque année de la période initiale de renouvellement correspondra à la juste valeur locative du marché des locaux de renouvellement initial au 31 décembre 1998.

Aux fins du présent article 19.2, la « juste valeur locative du marché » des locaux de renouvellement initial sera celle convenue par les parties ou déterminée par arbitrage conformément aux présentes, compte tenu de tous les faits et circonstances pertinents …

Le locataire a soutenu que le langage clair de l’entente, tant en droit qu’en conformité avec les normes de l’industrie, exigeait l’adoption d’une approche fondée sur la valeur marchande objective. Le locateur a soutenu que donner suite à la position du locataire rendrait superflue l’expression « … fondée sur tous les faits et circonstances pertinents … » figurant à l’article 19.2. La Cour a cité Yonge-Eglinton Building Ltd. c. Toronto Transit Commission (1997), 97 O.A.C. 205 (C. div. De l’Ont.), où [TRADUCTION] « … pour fixer une somme juste et convenable à payer en tant que loyer annuel desdites parcelles de terrain cédées … » était l’expression contestée :

Un grand nombre de cas ont été cités en référence par les avocats de chaque partie. Le libellé du bail dans chaque cas déterminait si l’approche devait être subjective ou objective. La différence étant de savoir si c’est la valeur pour les parties ou la valeur marchande.

Dans Revenue Properties Co. c. Victoria University …, les mots utilisés étaient « juste valeur marchande » et il a été déterminé qu’une approche objective devait être adoptée. D’autre part, dans Canada (Procureur général) c. Lynnwood Industries Estates Ltd. … où il était prévu que, s’il n’y avait pas d’accord mutuel, le « loyer devait être arbitré », l’approche subjective était adoptée. Il semblerait que partout où l’on utilise les mots « valeur marchande », « loyer du marché » ou       « valeur estimative », l’approche objective doit être prise. Pour les mots qui se réfèrent simplement à « louer » ou « valeur », on doit recourir à l’approche subjective …

Dans l’affaire NRI Manufacturing, le tribunal a aussi invoqué Halsbury’s Laws of England :

8 Halsbury’s Laws of England … donne la signification de « valeur locative » :

  1. Signification de « valeur locative ». Les clauses d’examen des loyers exigent nécessairement que l’évaluateur détermine la valeur locative, mais peuvent qualifier cette expression par des mots tels que « marché », « marché libre », « tarif », « juste », « raisonnable », « meilleur » ou « plus élevé »; mais aucune de ces qualifications ne semble faire la moindre différence. Il a été dit qu’il n’y a pas de différence entre un loyer du marché et un loyer du marché libre; que, dans l’expression « valeur locative du tarif du marché », le mot « marché » n’ajoute rien à « tarif » et vice versa, et que, dans la formule communément utilisée, « le loyer le plus élevé auquel les locaux pourraient raisonnablement être loués », les mots « plus élevé » ne font qu’accentuer le fait que le loyer que les locateurs sont légitimement disposés à exiger sur le marché libre est le loyer le plus élevé possible … Un loyer juste et/ou raisonnable est le même que loyer du marché en ce sens qu’il exige une évaluation objective du loyer qui pourrait être obtenu sans tenir compte de la considération personnelle pour les parties réelles. La notion de loyer raisonnable diffère de celle d’un loyer qu’il serait raisonnable que le locataire paie, ce qui introduit la notion de considérations personnelles aux véritables parties, comme si le locataire devrait payer ou accepterait de payer un loyer pour ses propres améliorations.

Dans NRI Manufacturing, la « juste valeur marchande » était la norme établie par le bail et le tribunal a jugé que cela imposait une approche objective, c’est-à-dire fondée sur le marché.

Dans Autotrol Technology (Canada) Ltd. c. Triple D Holdings Ltd., 2000 ABCA 195 (Alta. CA) le 31 juillet 1997, Autotrol a exercé une option de renouvellement d’un bail existant pour cinq autres années à compter du 1er janvier 1998. La clause de renouvellement stipulait qu’« un nouveau loyer sera négocié et, à défaut d’accord, il sera déterminé selon la méthode d’arbitrage habituelle ». Aucun critère n’était fourni pour déterminer le taux de location ou la date à laquelle il devait être déterminé. L’arbitre a conclu, et les parties ont convenu, que le taux à déterminer était un taux objectif – le « taux net du marché » – plutôt qu’un « taux raisonnable », fondé sur des considérations subjectives propres aux parties et à leur relation. Cependant, la date appropriée pour l’évaluation a été contestée – était-ce le 31 juillet 1997 ou le 1er janvier 1998? Les loyers avaient augmenté depuis juillet 1997. L’arbitre a conclu que la date d’évaluation était le début du nouveau bail le 1er janvier 1998. La Cour d’appel de l’Alberta a convenu :

15 Nous n’interprétons pas les motifs de l’arbitre comme une simple sélection du taux réel du marché au 1er janvier 1998 comme étant le taux approprié. Il a plutôt évalué que des parties raisonnables, informées de toutes les considérations pertinentes au milieu de 1997, y compris la tendance marquée à des taux de location plus élevés, auraient accepté à ce moment-là un taux de marché raisonnable devant entrer en vigueur le 1er janvier 1998. À la lumière du mouvement ascendant des loyers commerciaux au début de 1997 et de la probabilité que la tendance se maintienne, il a conclu qu’il n’aurait pas été déraisonnable de prévoir une augmentation de 2,00 $/pi2 entre juillet 1997 et le 1er janvier 1998 … Il a accepté les opinions des évaluateurs sur le taux réel le 1er janvier 1998 comme étant la meilleure preuve de ce que des parties raisonnables dans les positions des parties auraient anticipé comme taux du marché le 1er janvier 1998.

Autotrol fournit un exemple de la façon dont les circonstances peuvent affecter l’interprétation d’un contrat.

Conclusion

Comme nous l’avons indiqué au début de cet article, l’interprétation d’une disposition de bail implique l’examen de la disposition spécifique dans le contexte de l’ensemble du bail et des circonstances environnantes. L’interprétation d’un bail est un exercice de nature juridique. Par conséquent, il est prudent qu’un évaluateur demande au conseiller juridique des instructions précises quant au sens à donner aux dispositions relatives à l’examen des loyers et d’incorporer ces instructions dans le rapport d’évaluation.

Note en fin de texte

[1] Affirmé dans 1999 Carswell Ont 2523 (Ont. C.A.)

Cet article est fourni dans le but de générer des discussions et de sensibiliser les praticiens à certains défis présentés dans la loi. Cet exposé ne doit pas être considéré comme un avis juridique. Toutes les questions relatives aux situations abordées aux présentes devraient être dirigées à des praticiens qualifiés dans les domaines du droit et de l’évaluation.