Skip to the Content

Ébauches de rapport : Quand sont-ils appropriés? Quelles sont vos obligations?

Évaluation immobilière au Canada

Rechercher dans la bibliothèque en ligne


2017 – Volume 61 – Tome 1
Ébauches de rapport : Quand sont-ils appropriés? Quelles sont vos obligations?
Antoine Hacault, LLB

Antoine F. Hacault, avocat, est membre associé de l’Institut canadien des évaluateurs, suit des cours sur les NUPPEC, est rédacteur de textes à l’École d’études commerciales Sauder et est un conférencier régulier à des congrès d’évaluateurs.

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé qu’un client ou un avocat vous ait demandé de préparer une ébauche de rapport? Si oui, l’avez-vous regretté par la suite? L’a-t-on mal utilisé? Devez-vous conserver diverses itérations de votre ébauche?

Avant de poursuivre la lecture de cet article, je vous suggère de sortir la dernière ébauche de rapport que vous avez envoyée à un avocat ou un client par courriel ou par lettre. Êtes-vous conforme à 100 % avec les exigences en matière de pratiques exemplaires de l’Institut canadien des évaluateurs (ICE)?

Je me propose, dans cet article, de couvrir les éléments de votre obligation de garder vos ébauches, de votre obligation de produire des ébauches ainsi que ce que vos normes exigent quand vous acceptez de produire une ébauche de rapport à soumettre à l’étude d’un avocat ou d’un client.

Si un avocat est de la partie, il est prudent de voir à ce que la lettre de représentation de votre client confirme que le rapport est préparé aux fins de litige (privilège relatif au litige) ou est couvert par le privilège du secret professionnel de l’avocat. Ceci aura une incidence sur ce qui doit être divulgué et produit de votre dossier si l’affaire est portée en audience.

Moore c. Getahun, 2015 ONCA 55, est considérée comme une cause faisant jurisprudence dans ce domaine du droit. Les règles de cours ou tribunaux provinciaux peuvent modifier les règles générales. Dans la cause qui nous occupe, la Cour d’appel de l’Ontario a décrit le privilège relatif au litige comme suit :

Le privilège relatif au litige protège les communications avec une tierce partie, lorsque le but dominant de la communication est en préparation d’un litige (paragraphe 68). Le privilège relatif au litige a pour objet « d’assurer l’efficacité du processus accusatoire » et « pour parvenir à cette fin, les parties au litige… doivent jouir du privilège de préparer leurs positions antagonistes en privé, sans interférence de l’adversaire et sans crainte de divulgation prématurée ».

Règle générale exigeant que les ébauches de rapport et les notes soient divulguées

En vertu de la protection du privilège relatif au litige, les ébauches de rapport, les notes et les dossiers de toutes consultations entre experts et avocat-conseil n’ont pas à être divulgués (paragraphe 70)

Le fait de permettre une consultation ouverte des différences entre un rapport final et une ébauche antérieure nuirait indûment à la préparation ordonnée de la cause d’une partie et risquerait de prolonger inutilement la procédure (paragraphe 71).

Je suis d’avis que vous n’avez pas à sauvegarder et imprimer le produit de votre travail menant à la remise d’une ébauche de rapport à un avocat ou à un client.  Il se peut que vous ayez travaillé à ce contrat de service à divers moments et que vous ayez ajouté des renseignements à mesure qu’ils devenaient disponibles. Il est important de conserver au dossier tous les renseignements pertinents sur lesquels vous vous êtes appuyé lors de la préparation de votre rapport. Une tierce partie  autorisée[1] devrait pouvoir trouver dans votre dossier tous les renseignements nécessaires à la préparation du rapport, y compris toutes notes relatives à vos conversations avec des tierces parties donnant des renseignements au sujet des comparables utilisés dans votre recherche.

Exception à la règle de non-divulgation

Lorsque la partie qui demande que soient produites les ébauches de rapports ou les notes de discussions entre avocat et expert peut démontrer des motifs raisonnables de soupçonner qu’un avocat a communiqué avec un témoin expert d’une manière risquant de nuire aux responsabilités d’indépendance et d’objectivité dudit témoin expert, la cour peut ordonner la divulgation de ces discussions. (Moore c. Getahun, 2015 ONCA 55, paragraphe 77)

Ebrahim c. Continental Precious Minerals Inc., 2012 ONSC 1123 (CanLII), 2012 ONSC 1123 (S.C.), (paragraphes 63-75) est un exemple de cas dans lequel la divulgation a été ordonnée. La cour ordonna la divulgation des ébauches de rapport et affidavits après qu’un témoin expert ait témoigné qu’il n’avait pas rédigé l’ébauche du rapport ou l’affidavit contenant son opinion d’expert et ait admis que son cabinet d’évaluateurs avait une relation commerciale suivie avec la partie faisant appel à ses services.

(Nota : Je me propose de traiter des paramètres de la participation d’un avocat à la critique d’une ébauche de rapport dans un autre article.) La cause Ebrahim est un cas extrême. Il est évident que vous devriez rédiger vos propres rapports.

Présentation de la lettre d’engagement

Les parties devraient s’attendre raisonnablement à ce qu’on leur demande de produire la lettre d’engagement (NUPPEC, note relative à la pratique 16.10.5). La lettre d’engagement établit la portée de votre contrat de service. Plus souvent qu’autrement, il sera important de bien comprendre ce qu’on vous demande de faire. Quelle était la date réelle? Existait-il des hypothèses ou conditions limitatives? Quelle était la définition de la valeur que vous deviez utiliser? Nikolakakos c. Hoque, 2015 ONSC 4738 (CanLII) est un exemple de cas où la production de la lettre d’engagement a été exigée.

Je vous recommande donc d’inclure une déclaration d’expert dans la lettre d’engagement, s’il appert que l’affaire ira en audience. (Nota : Plus de détails suivront au sujet des déclarations d’expert et de votre devoir envers le tribunal dans un article subséquent.) Plus souvent qu’autrement, la partie adverse croit faire un bon coup en obtenant la lettre d’engagement comme munition lors d’un contre-interrogatoire. Imaginez sa surprise de constater que, dans la lettre d’engagement, vous indiquez notamment que vous avez « convenu de fournir toute autre aide que la cour pourrait raisonnablement demander afin de trancher dans cette affaire » et que vous avez reconnu que « votre devoir envers la cour a préséance sur toute obligation que je pourrais avoir envers toute partie par laquelle ou au nom de laquelle je suis engagé. » La lettre est portée au dossier et toute tentative d’attaquer votre crédibilité est sérieusement compromise.

Quand je reçois les ébauches de rapports d’experts, il arrive trop souvent qu’un certain nombre des pratiques exemplaires ne sont pas suivies. Il semble y avoir, à l’occasion, une attitude relâchée de laissez faire avec, au mieux, une application partielle des pratiques exemplaires recommandées, bien que non obligatoires, dans les NUPPEC. L’attitude semble parfois être « voici une ébauche » envoyée par courriel sans aucune considération des exigences générales en matière de contenu énoncées dans les Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC).

Avez-vous les NUPPEC à portée de la main et vous en servez-vous comme liste de contrôle avant d’envoyer une ébauche à un client? Le recours à une liste de contrôle ou, à tout le moins, à un format standard déjà utilisé est, selon moi, un élément essentiel à la gestion du risque associé à la remise de l’ébauche d’un rapport à un avocat ou à un client.

Si l’ébauche d’un rapport est préparée et envoyée à un client, cette ébauche doit être conforme aux NUPPEC

L’ébauche d’un rapport est considérée comme un rapport selon les NUPPEC et doit donc se conformer aux exigences des NUPPEC qui définissent un rapport comme    « Toute communication, écrite ou orale, d’un service professionnel transmise au client dans le  cadre  du  contrat  de  service. »  La  remarque  3  de   la définition de « Rapport » indique que « Les formats ou styles de rapports peuvent inclure les rapports formulaires, des rapports narratifs brefs et concis ou des rapports détaillés et plus compréhensifs en formats complets ou d’ébauche. »

L’imposition des exigences des NUPPEC à l’égard du contenu des ébauches de rapport est justifiée. On doit se rappeler que les évaluateurs peuvent parvenir à des conclusions différentes à partir des mêmes renseignements. Les experts indépendants peuvent ne pas s’entendre sur les conclusions quant à la valeur. Cependant, si l’ébauche de votre rapport est envoyée à un avocat ou à un client sans une étape ou pièce critique qui ne relève pas du jugement, vous risquez de devoir vous dénoncer à votre assureur ou, pire encore, de faire l’objet d’une plainte pour inconduite professionnelle. Votre produit du travail ne devrait pas être envoyé à un client s’il ne satisfait pas à certaines normes minimales. Faire autrement, c’est s’aventurer dans un champ de mines. Vous remplirez vos armoires de problèmes de responsabilité pouvant exploser à tout moment – surtout dans le contexte de marchés en déflation.

Pratiques exemplaires pour les ébauches que vous préparez et envoyez à un avocat ou à un client

Les points suivants couvrent les pratiques exemplaires suggérées par les NUPPEC  lors de la préparation et de la distribution d’ébauches de rapports :

Condition limitative

16.10.7.i : Inclure une condition limitative précisant que le rapport n’est valide que s’il porte une signature originale, suggérant ainsi qu’un rapport non signé n’est pas un rapport valide. [v. 2.60, 16.29.2.ii]

Lettre d’engagement indiquant la portée de ce que vous entendez faire en ce qui concerne les ébauches de rapport

16.10.7.ii :  Inclure une lettre d’engagement avec le contrat de service indiquant les termes du contrat de service (c.-à-d., le nombre et la fréquence des ébauches de rapport, le calendrier de facturation, les modalités de l’ébauche et de sa distribution, etc.)

Le mot ébauche en filigrane sur chaque page

16.10.7.iii :  Mettre en filigrane le mot ÉBAUCHE sur chaque page ou dans l’en-tête.

En-tête ou bas de page avec date et version

16.10.7.iv :  Insérer un en-tête ou bas de page indiquant la date et la version de l’ébauche (p. ex., Ébauche #X en vigueur le jour/mois/année) sur chaque page pour indiquer à tout utilisateur, prévu ou potentiel, que le rapport est une ébauche et pour en préciser la version au cas où d’autres suivraient.

Une lettre d’accompagnement est-elle requise? Que devez-vous inclure dans la lettre?

16.10.7.v :  Inclure une lettre d’accompagnement avec chaque ébauche indiquant le mandat et les instructions données par le client de fournir une ébauche et dans quel but – cette note devrait figurer dans l’envergure des travaux de chaque ébauche de rapport.

Que devez-vous insérer dans les parties indiquant la valeur et la signature du rapport?

16.10.7.vi :  Partout ou la valeur et la signature devraient apparaître (c.-à-d., conclusion, page de certification), une note d’ébauche devrait être insérée pour avertir tout lecteur que le rapport est à l’état d’ébauche.

16.10.7.vii :  Remarque : l’insertion du mot « ébauche » sur les lignes de signature aidera à prévenir la fraude et empêchera une tierce partie d’apposer une signature qui n’est pas celle de l’évaluateur.

Sommaire des changements

Bien que ce ne soit pas nécessairement chose courante, il peut être avisé, dans certaines circonstances de dresser un sommaire des changements apportés dans le rapport final. Le client peut avoir porté à votre attention d’autres comparables ou renseignements qui ont fait évoluer votre démarche de réflexion et vos conclusions. L’idéal est de demander des précisions d’un conseiller juridique à savoir si un sommaire des changements est requis ou désirable dans les circonstances propre à votre contrat de service.

16.10.7.viii :  Le membre devrait inclure dans le rapport final un sommaire des changements apportés entre la dernière ébauche et le rapport final, s’il y a lieu.

Avez-vous besoin d’une lettre de fiabilité? Que doit-elle indiquer?

16.10.7.ix :  Des lettres de fiabilité aux tierces parties doivent indiquer le mandat de l’ébauche et ses limitations.

Dans l’article suivant qui sera publié dans un prochain numéro d’Évaluation immobilière au Canada, j’ai l’intention de couvrir la question de vos devoirs envers le client et la cour ou le tribunal. Par exemple, votre devoir envers la cour a-t-il priorité sur votre devoir envers le client? Est-il recommandé d’avoir plus d’une lettre de rétention à l’égard de votre(vos) contrat(s) de service?

Renvoi

[1] Autorisée par consentement de votre client ou par les tribunaux.

                                                                        -30-