Skip to the Content

Exigence de « bonne foi » de l’évaluateur

Évaluation immobilière au Canada

Rechercher dans la bibliothèque en ligne


2016 – Volume 60 – Tome 1
Exigence de « bonne foi » de l’évaluateur
John Shevchuk

Introduction

Ce document est la deuxième partie d’une considération de l’expression « bonne foi » dans le Code de conduite (le Code) de l’Institut canadien des évaluateurs (ICE) :

Les membres de l’Institut canadien des évaluateurs (ICE) s’engagent à se conduire d’une manière qui ne portera pas préjudice au public, à l’ICE ou à ses membres, ou à la profession d’évaluateur immobilier. Les relations des membres avec d’autres membres, avec l’ICE et avec le public doivent être marquées par la courtoisie et la bonne foi, en plus de respecter l’ICE et ses procédures. [Emphase ajoutée.]

Le règlement 5.1.2 des Règlements consolidés (2014) de l’ICE (les Règlements) et la règle 4.1 de la Norme relative aux questions d’éthique des Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (NUPPEC) font aussi référence à la notion de bonne foi.

Dans l’article précédent, nous avons examiné la décision de la Cour suprême du Canada dans Bhasin c. Hrynew 2014 SCC 71 (Bhasin) afin de déterminer la portée de l’obligation de bonne foi dans des relations contractuelles. La cour a reconnu un nouveau devoir en common law en ce qui a trait à la bonne foi. Il est obligatoire de s’acquitter honnêtement des obligations contractuelles et d’éviter une conduite qui pourrait frustrer les attentes commerciales raisonnables des parties.

Alors que l’affaire Bhasin émet une directive aux membres de l’ICE concernant les relations contractuelles, ce n’est là qu’un aspect de l’obligation de bonne foi de Code. L’obligation existe qu’il y ait contrat ou non.

Directive des tribunaux

Une recherche informatique de l’expression « bonne foi » dans les statuts fédéraux canadiens a dégagé 498 cas couvrant un large éventail de lois. Une recherche des lois provinciales et territoriales livrerait les mêmes résultats. On retrouve l’expression « bonne foi » partout dans nos lois. Toutefois, il est difficile de cerner clairement la notion de bonne foi.

L’expression n’a pas de signification technique.1 Souvent, les définitions prévues par la loi ne font rien de plus que d’établir une équivalence entre bonne foi et honnêteté. D’autres définitions vont un peu plus loin, précisant qu’un geste est posé de bonne foi s’il est fait honnêtement, négligemment ou non.2

Certains tribunaux ont juxtaposé « bonne foi » avec « mauvaise foi », déclarant que la première est simplement l’absence de la seconde.3 Ce qui nous amène à nous demander tout simplement ce qu’on entend par « mauvaise foi ». Une autre approche consiste à se fier sur les dictionnaires juridiques tels le Black’s Law Dictionary.

On dit parfois que l’exigence de bonne foi a deux volets : a) déclarations et conduites honnêtes et b) sans arrière-pensée.4 La bonne foi peut aller au-delà de l’honnêteté personnelle et de l’absence de malice. Elle peut exiger d’autres qualités, états d’esprit ou connaissances. La bonne foi est plus qu’une simple «honnête ineptie ».5

Un juge a observé que « la bonne foi repose sur l’honnêteté. Elle n’est pas l’équivalent de la sainteté. Elle n’est pas dénuée d’intérêt personnel… »6 « La négligence, la stupidité ou l’aveuglement envers ce que les autres devraient normalement être en mesure de comprendre n’est pas l’équivalent d’un manque de bonne foi ».7

En l’absence de tout contexte particulier, la notion centrale de la « bonne foi » est l’honnêteté. Les circonstances dictent la nature et la portée de l’obligation.
Le Comité de la pratique professionnelle de l’ICE trouvera des indications dans les passages suivants :8

66 … La notion de bonne foi a été définie de diverses manières :
« Une chose est considérée comme ayant été faite de bonne foi si elle a été faite honnêtement, qu’elle ait été faite négligemment ou non. »
« Bonne foi : honnêteté d’intention en l’absence de connaissance de circonstances qui devraient susciter une enquête. »

67 Une prise en considération honnête des faits connus avant de prendre une décision est un autre signe de bonne foi. Par contre, un conseil d’administration qui agit de façon déraisonnable et arbitraire et sans l’équité, l’ouverture et l’impartialité qu’on est en droit de s’attendre de lui peut être jugé comme agissant de mauvaise foi.

Voici une expression de rechange à l’obligation d’agir de bonne foi pour ceux qui exercent des pouvoirs et des devoirs analogues à ceux des comités de pratique professionnelle de l’ICE :9

L’absence de bonne foi peut résulter d’une approche téméraire et arbitraire de l’exercice du pouvoir en cause. Le terme « bonne foi » ne doit pas être pris en considération en faisant abstraction du processus auquel il est appliqué… Une honnête tentative d’exercer le pouvoir n’est pas démontrée par la simple absence de malhonnêteté, de malice ou d’intérêt personnel… La bonne foi exige plus que l’absence de mauvaise foi. Elle exige une approche consciencieuse à l’exercice du pouvoir.

Le règlement 5.9 (plaintes d’un membre contre un autre membre) envisage des sanctions contre un membre de l’ICE qui porte plainte contre d’autres membres de l’ICE en l’absence de bonne foi. Une décision de la cour concernant les plaintes en vertu des lois sur les valeurs mobilières permet de mieux comprendre ce qu’exige la bonne foi dans le contexte du règlement 5.9.10 Le membre qui porte plainte devrait s’attendre à devoir établir une honnête conviction, après avoir pris connaissance de suffisamment d’informations, qu’il y a eu manquement aux Règlements administratifs, Code, Règlements, politiques ou NUPPEC.11

Obligation des membres de l’ICE d’agir de bonne foi

Certaines relations commandent automatiquement la bonne foi; l’emploi, l’assurance, le franchisage et la soumission dans le domaine de la construction en sont de bons exemples. Le cas Bhasin a élargi la portée de la loi en établissant que la bonne foi est nécessaire dans toute situation contractuelle.

Les membres de l’ICE se soumettent volontairement à l’exigence de bonne foi, mais ils n’ont pas défini les caractéristiques de cette obligation.

Au minimum, l’obligation de bonne foi d’un membre de l’ICE, telle que prévue par le Code, exige honnêteté et candeur dans ses relations avec les autres. Le contexte peut exiger davantage. Quelqu’un qui est imprudent ou qui ne tient pas compte des circonstances ne fait pas montre de bonne foi. Une fois au courant des faits, un membre fait preuve de bonne foi si ses actions sont conformes à un effort pour agir honnêtement et sans arrière-pensée face à ces connaissances.

Une définition ad hoc de « bonne foi » qui pourrait être satisfaisante aux fins du Code est celle qui apparaît dans la 9e édition du Black’s Law Dictionary:12

Un état d’esprit consistant en (1) honnêteté de croyance ou de but, (2) fidélité envers son devoir ou son obligation, (3) observation de normes commerciales raisonnables d’utilisation équitable dans un métier ou une affaire ou (4) absence d’intention de frauder ou d’abuser. – Aussi appelée bona fides.

Références

  1. Évaluation immobilière au Canada, Vol. 59, Tome 2, 2015, page 34. Discovery Enterprises Inc. v. Ebco Industries Ltd., [2002] B.C.J. No. 1957 (B.C.S.C.)
  2. Exemples : Sale of Goods Act, R.S.A. 2000, c. S-2, s. 2(1); Sale of Goods Act, R.S.B.C. 1996, c. 410, s. 2; Sale of Goods Act, R.S.O. 1990, c. S.1, s. 1(2)
  3. Mogridge c. Clapp,[1892] 3 Ch 382 à 391 [UK]
  4. Voir par exemple Central Estates (Belgravia) Ltd c. Woolgar [1971] 3 All ER 647, [1972] 1 QB 48 à 55
  5. Mid Density Developments Pty Ltd c. Rockdale Municipal Council (1993), 44 FCR 290 à 299-300; 116 ALR 460 à 468-469
  6. 1172773 Ontario Ltd. c. Bernstein, [2000] O.J. No. 4102 (Ont.S.C.J.) au para. 38
  7. Official Trustee in Bankruptcy c. Mitchell (1992), 16 Fam LR 87 à 95 [Aust.]
  8. Vigliotti c. Canada (Procureur général), [2001] O.J. No. 2845 (Ont.S.C.J.)
  9. Applicant WAFV of 2002 c. Refugee Review Tribunal, BC200300027 [2003] FCA 16 à [39]
  10. Silver c. Imax Corp, 2009 CarswellOnt 874 (Ont. S.C.J.)
  11. Règlements consolidés (2014) de l’Institut canadien des évaluateurs, alinéas 5.1.1 – 5.1.5
  12. St. Paul: West Publishing Co., 2004, Thomson Reuters, 2009

Le présent article veut susciter la discussion. Il ne devrait pas être considéré à titre de conseil juridique. Les questions que soulève l’article dans des circonstances particulières devraient être adressées à des gens de loi et des évaluateurs praticiens qualifiés.